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[Conversation] témoignage d'un exilé politique iranien : jamshid golmakani

Réfugié politique iranien, Jamshid Golmakani, exilé en France en 1982, a été reporter-photographe, journaliste. Il produit et réalise des reportages et des documentaires sur le thème de l’exil, et plus largement sur des sujets concernant les Droits de l’Homme. L’entretien ❶ dévoile son prochain documentaire « Yo soy Madrileňo ».

fig.1 Jamshid Golmakani, Iran : cri d’un peuple indigné, 2013, film documentaire, capture d’image. ©Horizon communication.

Contextualisation

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J’ai un projet de film depuis 15 ans. Ce projet s’appelle « Yo soy Madrileňo ». J’ai beaucoup travaillé, j’ai réfléchi et connecté les éléments. L’idée est de raconter mon vécu pendant neuf mois à Madrid, du 3 février au 3 novembre 1982.

 

J’ai quitté clandestinement l’Iran. Je me suis ensuite retrouvé par hasard en Afghanistan, puis au Pakistan. À Karachi, ils m’ont dit qu’il n’y avait rien à faire, ni dans cette ville, ni dans ce pays. Et à l’époque, l’Europe avait décidé de mandater l’Espagne afin de recevoir des Iraniens en fuite du Pakistan et de la Turquie. Donc j’ai eu beaucoup de chance, car il me restait encore un peu d’argent pour acheter un billet d’avion en direction de Madrid.

 

Madrid a été ma deuxième naissance. Pour la première naissance, je ne pouvais pas décider. Pour la deuxième, l’Iran a décidé à 50% et le reste m’appartenait. J’avais enfin mon existence entre les mains. J’étais tellement heureux.

"Yo soy Madrileno"

Depuis le 15 juillet dernier (2017) je ne suis plus le même Jamshid.

 

Le dimanche 9 juillet à 11h, le téléphone sonne. Je décroche. C’était Rami au téléphone. Il me dit en rigolant, « oh abuelo ❷, tu ne devineras jamais où je suis ! Je suis à Madrid ! Je reste encore une semaine, donc rejoins-moi ». Rami est mon meilleur ami. On était tous les deux à Madrid en 1982. Lui est devenu médecin à San Francisco. Il a toujours été très brillant. Il a eu son baccalauréat scientifique avec une moyenne de 20 sur 20. Il a passé le concours d’entrée en faculté de Médecine, en espagnol, un an après son arrivée à Madrid et il a réussi le concours. Il était le seul étudiant étranger.

 

Donc le lendemain, j’ai pris le premier avion. Et j’ai commencé à filmer là-bas avec Rami. Rami a fait une vraie démarche. Il a amené ses garçons. Il a loué un appartement dans le quartier où nous logions tous les deux à l’époque. En revenant à Madrid pour la première fois, nous avions exactement le même objectif. Nous avons reçu des valeurs fondamentales qui ont créé ce que nous sommes. Ces 4 jours ont été très forts en émotions ; faits de pleurs et de joies. J’ai pleuré, j’ai pleuré. Ça m’a tellement fait du bien.

 

Lorsque je suis arrivé, Rami m’a dit « Jamshid, on fait quoi ? Ta Madrid est la mienne, donc je te suis, puisque nous allons vers la même joie. » Dons nous sommes allés à l’hostal de Tomas, où nous avions chacun un lit. J’ai sorti le plan que j’avais gardé. Alors qu’il commençait à marcher, j’ai allumé la caméra. Je ne voulais rien louper de nos retrouvailles à Madrid. Mais d’un coup je me suis arrêté et j’ai dit à Rami « il faut tourner ici, je le sais, je m’en souviens. À gauche il va y avoir la petite hostal de Tomas ». Nous avons tourné et effectivement l’hostal se dressait devant nous. Rami interloqué m’a demandé comment j’avais fait. Quel était mon secret ? Mon point de repère était le panneau de tabaco ❸. C’est ici que j’achetais mon tabac en fin d’après-midi pour le revendre ensuite le soir, jusque tard dans la nuit à la Plaza Mayor. Une fois devant l’hostal, nous avons vu écrit sur la pancarte du restaurant « cocina espaňol de Cuba ❹ ». À l’époque il y avait, nous les Iraniens, beaucoup de Cubains, et quelques Polonais. Nous étions comme des frères et sœurs, avec aucune différence. Nous venions de continents différents, mais nous connaissions une difficulté similaire, c’est-à-dire la séparation avec nos racines. L’hostal était fermé et le restaurant aussi. Mais malgré cet échec, Rami m’a dit « tu sais, là tout de suite, la seule envie que j’ai, c’est de tout laisser dernière moi ; ma clinique, mon poste de professeur, mon poste de chercheur, et de revenir habiter ici ».

 

Le dernier jour, nous n’étions pas ensemble le matin. Je suis retourné à l’hostal de Tomas pour pouvoir filmer à l’intérieur. Je rentre dans le tabaco, où il y avait une jeune femme. Je lui explique que je venais à l’époque, acheter tous les jours des cartouches de cigarettes et que j’habitais juste à côté, dans l’hostal de Tomas. Et là, elle me dit « Tomas todavía està quí ❺, mais il est en vacances actuellement. Parcontre Camidad qui travaille toujours avec lui, est à l’hostal. » Alors j’avance vers l’hostal, je sonne une fois, deux fois, trois fois, et là j’entends une voix de femme au-dessus de ma tête. Je continue à filmer, et je dis «estoy un amigo de Tomas de la 1982 y estoy aquí para haberlo ❻». Elle me répond «Verdad, verdad, voy a abrir la puerta ❼». Elle ouvre la porte. L’intérieur avait été rénové. Je monte les marches, j’avance sur le palier, puis je fais quelques pas en arrière, je dis bonjour, je me retourne et là je me retrouve face à ma chambre. D’un coup je me suis mis à pleurer, ma caméra bougeait dans tous les sens. La pauvre Camidad a pris ma main, a chuchoté « por favor seňor, por favor ❽», mais elle a vu qu’elle ne pouvait pas me faire arrêter de pleurer, donc elle m’a laissé sangloter dans ses bras. Puis, elle m’a installé dans une pièce et m’a dit « Tomas estas en vacaciones hasta miércoles ❾, mais nous allons l’appeler ». À ce moment-là mon film a trouvé sa place. Lorsque Camidad expliqua la situation à Tomas, il a commencé à pleurer, et lui aussi n’arrivait plus à s’arrêter, tellement touché par ma démarche. Il a tellement pleuré que j’en tremble encore. Camidad me dit « je te le passe » et quand je lui ai donné tous les détails dont je me souvenais, il était très étonné que je puisse me souvenir de tant de choses après autant d’années. Ma voix tremblait avec mon petit espagnol. Tomas a ensuite dit une phrase fondamentale « Jamshid je suis très content que tu sois revenu chez toi, à l’hostal. Tu sais tu es le troisième Iranien qui revient me voir ». Puis, il m’a demandé « Dondé vives ahora ❶⓿ ? ». J’ai répondu, à Paris, en France et il a rétorqué « je comprends alors pourquoi tu es revenu ici ! ». Puis il m’a demandé « Que estas haciendo trabajo ❶❶? ». Je lui dis que je fais des films documentaires et que je suis entrain de faire un film qui s’appelle « Yo soy Madrileňo ». Il était tellement fier et m’a dit que nous ne devrions jamais plus nous perdre de vue. Donc nous avons convenu que je revienne en février prochain. Et une fois devant Tomas je vais pouvoir parler de tout. Comme parler du restaurant, avec la chaleur de la famille. Il nous préparait des repas chauds qui ne lui rapportaient pas d’argent, car il savait que nous n’avions rien. En contrepartie, nous l’aidions à débarrasser.

 

Après tout ce bouleversement et avant de rentrer, j’ai décidé de retourner à un endroit où je me rendais tout le temps. C’est ici que je me rendais pour me détendre auprès des grands arbres. C’était mon coin de relaxation, où je lisais, j’écrivais, j’apprenais l’espagnol. J’ai filmé les témoins de mon existence, j’ai filmé les grands arbres. Nous avons beaucoup discuté, je parlais beaucoup seul. Lorsque je suis revenu sur les lieux, j’ai vu un jeune, un peu près le même âge que moi à l’époque, qui était entrain de faire la même chose que moi des années auparavant, et je filmais, je pleurais, je filmais, je pleurais. Je pense que je vais mettre cette séquence à la fin de mon film pour pouvoir dire « j’espère que lui aussi 35 ans après, reviendra ici, et dira « yo soy Madrileňo ».

SOLENN TENIER

 

❶ Réalisé le 2 août 2017, l’objectif premier de cet entretien, qui devait être semi-directif, était de tenter de comprendre à quoi pouvait ressembler le parcours de vie d’un réfugié politique, comprendre ses doutes, ses interrogations et surtout ses motivations. Cependant, cet entretien de 3h a pris la forme d’un récit personnel d’expériences, sous forme d’un monologue passionné. Les retrouvailles avec « sa chère Madrid », première ville d’accueil du commencement de « sa seconde naissance », se sont imposées comme le fil conducteur de l’entretien.

 

❷ Oh grand-père.

 

❸ Tabac.

 

❹ Cuisine espagnole de Cuba.

 

❺ Tomas est toujours ici.

 

❻ Je suis un ami de Tomas depuis 1982 et je suis ici pour le voir.

 

❼ Oh vraiment, je vais ouvrir la porte.

 

❽ S’il vous plait, monsieur, s’il vous plait.

 

❾ Tomas est en vacances jusqu’à mercredi.

 

❶⓿ Où vis-tu maintenant ?

 

❶❶ Quel travail fais-tu ?

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